Une version de cette présentation a été donnée le 2 septembre 2019 par Michèle Rivet, CM, membre du conseil d’administration d’ICOM Canada. lors de la 25e assemblée générale de l’ICOM à Kyoto, au Japon. La présentation de Michèle faisait partie du table ronde « Décolonisation et restitution: vers une perspective plus holistique et une approche relationnelle » (session 1) animé par Afşin Altayli (Secrétariat de l’ICOM) et Tonya Nelson (Présidente, ICOM UK). La présentation a porté sur deux tours de discussions.
De la décolonisation à l’autochtonisation : La route vers l’égalité
J’aimerais remercier mes collègues de l’ICOM Canada pour leurs contributions, ainsi que Marie Lalonde, présidente de son conseil d’administration, et les autres personnes ici présentes.
La contribution potentielle de l’ICOM au processus de décolonisation des musées et de la muséologie repose sur des échanges et des collaborations formelles et informelles entre les membres canadiens, au sein de comités internationaux, et avec des membres de l’ICOM d’autres pays qui, comme le Canada, sont engagés dans le processus de décolonisation de leurs musées.
En 2016, la population autochtone du Canada s’établissait à plus de 1,6 million de personnes, soit 4,9 pour cent de la population totale du pays, localisée principalement dans le centre et l’ouest du Canada. Les musées canadiens ont amorcé le passage de la décolonisation à l’autochtonisation.
La décolonisation rétablit la vision du monde, la culture et les modes de vie traditionnels des Autochtones et remplace les interprétations occidentales de l’histoire par des perspectives autochtones. L’autochtonisation, quant à elle, reconnaît la validité des visions du monde, du savoir et des perspectives des Autochtones. Elle intègre leurs façons de savoir et de faire dans les musées, le meilleur exemple sur la scène mondiale étant celui des peuples Māori et Pākehā de la Nouvelle-Zélande au Musée Te Papa Tongarewa.
Depuis des années, les Canadiens ont établi des politiques et des pratiques de restitution et de rapatriement avec les musées, comme en font foi les événements importants qui suivent :
À la suite du boycottage de l’exposition « The Spirit Sings » (L’esprit chante) par les Cris du lac Lubicon, pendant les Jeux olympiques de Calgary, en 1988, un groupe de travail regroupant des membres de l’Assemblée des Premières Nations et des représentants de l’Association des musées canadiens a été créé. En 1992, ce groupe de travail a présenté son rapport intitulé Tourner la page : forger de nouveaux partenariats entre les musées et les Premières Nations. Ce rapport recommandait une participation accrue des peuples autochtones dans l’interprétation de leur culture et de leur histoire; un meilleur accès aux collections muséales pour les peuples autochtones; et le rapatriement des objets sacrés et des restes humains contenus dans les collections muséales.
Le Canada a également participé à l’élaboration de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En novembre 2010, le Canada a déclaré son soutien aux principes de la Déclaration. Depuis mai 2016, il appuie pleinement la Déclaration, sans réserve.
La Commission de vérité et réconciliation du Canada, dans son rapport publié en 2015, a qualifié l’établissement et le fonctionnement des pensionnats indiens qui ont touché plus de 150 000 enfants autochtones de « génocide culturel ». La Commission a formulé plusieurs appels à l’action qui concernent les musées, et notamment l’appel à l’action numéro 67 qui s’énonce comme suit :
« Nous demandons au gouvernement fédéral de fournir des fonds à l’Association des musées canadiens pour entreprendre, en collaboration avec les peuples autochtones, un examen national des politiques et des pratiques exemplaires des musées, et ce, dans le but de déterminer le degré de conformité avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et de formuler des recommandations connexes. »
En 2018, pour donner suite à cette recommandation, l’Association des musées canadiens a créé un Conseil de la réconciliation formé de 14 professionnels de musées autochtones et non autochtones des quatre coins du Canada. En juin dernier, cette même Association a engagé une muséologue de la réconciliation.
Tout récemment, en avril 2019, le Musée royal de la Colombie-Britannique et le Haida Gwaii Museum ont publié l’Indigenous Repatriation Handbook, un guide sur le rapatriement de biens autochtones.
Voici quelques exemples d’initiatives muséales :
Plusieurs tendances vers l’autochtonisation, la décolonisation et la réconciliation deviennent pratique courante dans les musées canadiens. En voici quelques exemples :
- Des programmes s’adressent aux jeunes Autochtones et priorisent les initiatives numériques.
- Une responsabilité partagée pour des expositions autochtones permanentes ou temporaires et des activités de formation planifiées par des Autochtones ou en collaboration avec des Autochtones.
- L’inclusion des perspectives autochtones dans toutes les expositions.
- La reconnaissance des territoires traditionnels dès le début de toutes les activités, les réceptions et les visites guidées.
- La création de comités ou de conseils consultatifs permanents chargés de donner des conseils à tous les niveaux des activités muséales.
- Des politiques qui comprennent au moins un représentant ou un décideur autochtone au sein des conseils d’administration des musées.
- L’inclusion des visions du monde autochtones par l’emploi de travailleurs de musées autochtones dans des postes permanents et à temps plein.
Les principes qui sous-tendent les actions des musées :
La décolonisation repose sur la reconstruction des relations, l’établissement de partenariat et la « bonne façon » de faire les choses, comme bien des Aînés le disent. Les principes fondamentaux sont le respect, la réciprocité et l’interconnexion.
Respect :
Le respect consiste à honorer et à respecter les autres êtres vivants et à donner toute son importance à la tradition au 21e siècle. On en trouve des exemples :
Réciprocité :
La réciprocité renvoie aux droits et obligations des peuples les uns envers les autres. Par exemple, les ententes de gérance entre des musées et des communautés autochtones pour assurer la garde des artéfacts par la négociation de traités, le Traité Nisga’a signé en 2000 en étant un exemple important. Au Musée canadien de l’histoire, l’inauguration de la salle de l’histoire canadienne, en 2017, était une première. Pour la première fois, les récits autochtones et non autochtones ont été tissés ensemble pour présenter une vaste histoire du Canada.
Les défis : vers l’autochtonisation
Le troisième principe de la décolonisation, l’interconnexion, nous mène aux défis auxquels les musées canadiens font encore face aujourd’hui.
Interconnexion :
L’interconnexion reconnaît que les droits des personnes et les droits collectifs sont interreliés, que toute chose et toute personne a un but et mérite le respect. La décolonisation et l’autochtonisation consistent à accorder une place centrale aux façons autochtones de connaître et de comprendre le monde et les relations et à s’assurer que nous respectons ces façons dans toutes nos interactions avec des peuples autochtones.
L’autochtonisation signifie que l’on s’attend à ce que les musées atteignent ce que Miriam Clavir, une conservatrice canadienne émérite, appelle un « modèle pour réunir les points de vue des Premières Nations et de la conservation muséale sur la préservation »[1]. Autrement dit, « les musées doivent devenir des lieux de rencontre des idées sur les rapports des objets à l’histoire, à l’historiographie et à l’organisation du savoir dans la société »[2].
La décolonisation démantèle les systèmes de pensée qui font de la personne blanche et droite la norme[3], elle est une profonde transformation de tout le système. Je me permets de penser que l’autochtonisation est une question d’hybridité et « d’établissement d’une culture de partage de l’autorité et du pouvoir »[4].
Comme nous pouvons l’imaginer, il y a encore bien des défis à relever, notamment en ce qui concerne :
- la bureaucratie des grandes institutions qui complique parfois des processus relevant davantage, d’un point de vue relationnel, de l’interaction entre des personnes;
- l’embauche et le maintien en poste d’employés autochtones;
- la méfiance constante de certains membres de la communauté à l’égard de l’appropriation, par les musées, de leurs récits, de leurs trésors et de leur esprit.
En conclusion, l’autochtonisation est une question d’hybridité. C’est beaucoup plus que de la consultation. C’est une question de partage de la prise de décisions sur un plein pied d’égalité avec les Premières Nations, dans tous les aspects de leur vie avec le musée. Ce partage décisionnel fait partie de l’obligation fiduciaire des musées à l’égard de la société qu’ils servent. C’est de cette façon que la société canadienne envisage l’égalité pour tous les Canadiens. La route vers l’égalité …