Cet article a été publié dans le bulletin électronique de ICOM Canada de septembre 2019 sur la diplomatie culturelle. Voir plus d’articles de ce numéro ici.
C.W. Gross (Glenbow Museum)
On a beaucoup insisté sur la représentation de nos différences dans le climat politique récent. Toutefois, en tant qu’éducateur dans un musée, je m’inquiète souvent de voir que nous accordons tellement d’importance à la diversité des caractéristiques que nous en perdons de vue l’un des liens les plus puissants tissés par nos musées : l’universalité de nos histoires.
Mon épouse, éducatrice elle aussi, et moi aimons raconter l’histoire de mon père. Il est né en 1932 dans une ville qu’on appelait alors Regenwalde, en Poméranie, dans la République de Weimar (la désignation historique non officielle de l’État allemand de 1918 à 1933). Son père avait servi comme infirmier prussien pendant la Première Guerre mondiale et lorsque les Nazis ont pris le pouvoir, peu après la naissance de mon père, il a aidé des personnes persécutées à fuir l’Holocauste. Après la Deuxième Guerre mondiale, Regenwalde et sa région environnante ont été attribuées à la Pologne et la ville a été renommée Resko. La Pologne, quant à elle, a été occupée par les Soviétiques. À l’âge de 13 ans, mon père avait vécu dans quatre pays différents sans bouger d’un pouce.
Entre 1944 et 1950, plus de 45 millions de Poméraniens, de Prussiens et de Silésiens ont été ethniquement nettoyés des territoires communistes occupés. Jusqu’à 2,5 millions d’entre eux sont décédés et cette migration forcée est largement considérée comme étant la plus grande dans l’histoire humaine, parmi ceux qui en ont connaissance. Mon grand-père est décédé pendant le nettoyage ethnique et le reste de la famille s’est établi en Allemagne de l’Est, mais mon père a fait partie des 14 millions de personnes qui ont traversé le Rideau de fer et sont passées à l’Allemagne de l’Ouest. En 1952, il a été recruté par le gouvernement britannique pour émigrer au Canada, ce qu’il a fait en emportant avec lui une seule valise remplie de ses quelques biens matériels.
Dans l’un des programmes scolaires sur l’immigration de notre musée, mon épouse a raconté l’histoire de mon père. Un élève a levé la main. Il était récemment arrivé de la Syrie, au plus fort de la crise des réfugiés. Ébahi, ce jeune garçon musulman né en Irak s’est exclamé que l’histoire de mon père caucasien et chrétien était tout à fait semblable à la sienne. Sa famille a dû quitter un pays pour un autre au Moyen-Orient et fuir les troubles et le terrorisme, jusqu’à ce qu’elle trouve finalement refuge au Canada. Il était surpris d’entendre une histoire aussi semblable à la sienne, qui s’était déroulée il y a si longtemps, et qui touchait une personne aussi différente en apparence. Il a appris que l’histoire du Canada est la sienne.
Malgré les grandes différences sur les plans de la race, de la religion, de l’âge et de l’origine ethnique, nous avons réussi à établir un lien grâce à une histoire universelle. Créer des liens et mettre l’accent sur ce que nous avons en commun tout en favorisant le respect de nos différences et en établissant un espace commun par des histoires communes, voilà un rôle puissant et stimulant que peuvent jouer les musées et leurs éducateurs.